samedi 27 juin 2009

FICTION (19)


Elle n'est pour l'instant que quelques mots sur fond blanc, un visage aperçu, une sensation quotidienne. Et pourtant il y a chez elle une bienveillance, une douceur pourrais-je dire qui me plaît, qui me touche.
Entre les mots se dévoilent des traits, des plis, des figures. Et j'assemble les morceaux en tentant de construire mentalement son esprit et sa chair.

Elle apparaîtra bientôt dans le ciel bleu électrique des nuits de juillet. Elle sourira sans doute en voyant mon incrédulité à la voir là, bien réelle.

Il ne manque que son odeur et le grain de sa peau pour rendre l'image nette.

lundi 8 juin 2009

Hymne européen


"L'hymne officieux de l'Union européenne, qu'on a pu entendre à l'occasion de mains évènements politiques ou sportifs, cet Hymne à la joie extrait du dernier mouvement de la Neuvième symphonie de Beethoven est un vrai "signifiant vide" qui peut servir à n'importe quoi. En France, il a été élevé par Romain Rolland au rang d'ode humaniste célébrant la fraternité des peuples (la "Marseillaise des peuples"); en 1938, il fut le clou du spectacle des Reichmusikstage (les "Jours de la musique du Reich") et fut joué, plus tard, pour l'anniversaire de Hitler; jusque dans les années 1970, il était donnéen l'honneur de la médaille d'or allemande lorsque les équipes olympiques de l'Ouest et de l'Est réunies en une seule pour représenter l'Allemagne, participaient à la compétition; le régime rhodésien de Ian Smith, partisan de la suprématie blanche, qui décréta l'indépendance à la fin des années 1960 afin de maintenir l'apartheid, en fit son hymne national. (...)
Il n'est donc pas difficile d'imaginer un spectacle de fiction auquel assisteraient tous ceux qui sont des ennemis jurés, de Hitler à Staline, de Bush à Saddam, oubliant leurs oppositions pour participer à un moment magique de fraternité extatique...
(...)
Et si nous avions par trop domestiqué l'Hymne à la joie, si nous nous étions trop habitués à le considérer comme un symbole de joyeuse fraternité? Et s'il était nécessaire de s'y affronter à nouveaux frais?
Cela ne vaut-il pas pour l'Europe aujourd'hui? Après avoir invité des millions d'êtres à s'enlacer, du plus élevé au plus insignifiant (vermisseau), la deuxième strophe (de l'Hymne à la joie) s'achève de manière inquiétante: "Und wer's nie gekonnt, der stehle weinend sich aus dem Bund" ("Mais vous que nul amour n'effleure, en pleurant, quittez ce choeur!"). Que l'Hymne à la joie de Beethoven soit devenu l'hymne non officiel de l'Europe n'est pas sans ironie, une ironie qui tient bien sûr au fait que la cause principale de la crise de l'Union est précisément la Turquie: si l'on en croit la majorité des sondages, l'une des principales raisons invoquées par ceux qui ont votés "non" aux derniers référendums en France et aux Pays-Bas était la peur des immigrés venus d'Orient, une peur qui s'articule politiquement à l'opposition de l'entrée de la Turquie dans l'Union. Le "non" peut être posé en termes populistes et droitiers (non à la menace culturelle turque, non au travail immigré turc bon marché) ou en termes multi-culturalistes et libéraux (la candidature de la Turquie ne devrait pas être retenue en raison du traitement que ce pays réserve aux Kurdes, de son incurie des droits de l'Homme). La réponse opposée, le "oui" est aussi la fausse cadence finale de Beethoven...
Devrait-on admettre la Turquie dans l'Union ou la laisser "sortir à pas feutrés hors de l'Union (aus dem Bund - quitter ce choeur)"? L'Europe survivra-t-elle à la "marche turque"? Et si, comme dans le final de Beethoven, le vrai problème n'était pas la Turquie mais la mélodie elle-même, la chanson de l'Union européenne telle qu'elle nous est jouée par l'élite pragmatique, technocratique et post-politique bruxelloise?
C'est d'une mélodie totalement neuve, d'une nouvelle définition de l'Europe, dont nous avons besoin.
(...)".

Slavoj Zizek
Bienvenue au réel européen, 2005
in Bienvenue dans le désert du réel, 2002.


Europe...


Dans ces élections européennes une fois de plus c'est la démocratie qui sort affaiblie, avec un taux de participation de 40% en France et qui, en Europe, va de 19,64% en Slovaquie à 60% en Grèce.

Et puis il y a cette vague bleu du Parti Populaire Européen, soit la droite capitaliste triomphante malgré la crise financière de ses derniers mois, dont on entends certes plus vraiment parler sauf pour justifier des licenciements. Une crise financière déjà évaporé des médias, et des esprits, alors qu'il semblait il y a si peu que le capitalisme, l'ultra-libéralisme devrais-je dire, était à jeter à la poubelle. Qu'à cela ne tienne, les européens continuent à soutenir massivement les représentants de la droite libérale...

A l'exception de 4 pays qui ont produit des résultats égalitaire entre Parti Populaire Européen et Parti Socialiste Européen: Suède (5 sièges PPE / 5 PSE), Danemark (3 ADLE, Alliance  des Démocrates et Libéraux pour l'Europe / 3 PSE), Grèce (8 PPE / 8 PSE) et Chypre (2 PPE / 2 PSE).

Si l'on pavoise en France sur la nette poussée écologiste avec une liste Europe Ecologie qui a fait une très belle campagne pédagogique, concrète, énergique et véritablement européenne, il n'y a qu'en Allemagne où la tradition écologiste est ancienne que cette tendance est visible.
Avec 14 sièges en France et 13 sièges en Allemagne les écologistes vont tout de même avoir du travail pour arriver à se faire entendre au parlement.

samedi 6 juin 2009

Lunar Park


De Bret Easton Ellis j'avais lu et aimé Moins que zéro et Les Lois de l'attraction (adapté assez mal au cinéma par Roger Avary, pourtant auteur de l'excellent Killing Zoé). Je n'ai pas encore lu, étrangement, ces best-seller que sont American Psycho et Glamorama.

Lunar Park est le premier roman à la première personne d'Ellis. Et même plus que cela puisque le narrateur et personnage se nomme Bret Easton Ellis, qu'il est un écrivain à succès qui à écrit les livres cités plus haut... Le roman (oui, Ellis insiste sur le fait qu'il s'agisse d'un roman) est une sorte d'auto-fiction dans laquelle le lecteur cherchera forcément (c'est le jeu de l'auto-fiction) la part du vrai, la part du faux. 
La plus grande part du vrai semble être dans la première partie où Ellis raconte en environ 80 pages ses débuts d'écrivain à succès (c'est sa profession...) ainsi que tous les à côtés. Parmi les à côtés: la drogue, les filles, les voyages, la médiatisation, l'argent, l'alcool... Ellis raconte à une vitesse vertigineuse l'ivresse et la gueule de bois de ces années là. Avec détails, humour, et sacrée dose d'auto-critique. De ce tourbillon, de ce grand-huit autour de la planète et dans sa tête l'auteur s'éjecte épuisé. Et on le comprends. Ellis ne sait plus qui il est, ce qu'il veut, ce qu'il va écrire.

Il est alors temps de recoller les morceaux avec son ex-femme, ses enfants, son passé en s'installant comme en cure, dans une banlieue policée de New-York.
La maison est immense, très confortable, le jardin est parfaitement entrenu, le jacuzi à disposition, l'école des enfants est une des meilleures de la région.
Bret Easton Ellis se pose, tente de s'intéresser à son fils Robby, à faire l'amour avec sa femme, à discuter poliment avec les voisins. Mais comme dans ces banlieues tranquilles il suffit de peu pour que tout dérape. Et je dis "peu"... mais très vite tout va devenir énorme, envahissant, étouffant.
Le chien de la maison semble détester Ellis, le mépriser même.
Robby, gavé de calmants pour lutter contre l'hyper-activité comme la plupart de ses amis, semble avoir une attitude indifférente voire hostile envers son père.
Une "banale" fête donnée dans la maison fait apparaître Patrick Bateman, le héros d'American Psycho.
Bret Easton Ellis le sent quelque chose cloche et c'est bientôt le fantôme de son père qui revient par mail...

La maison devient le théâtre de phénomènes étranges, mais aussi l'université où il enseigne, le journal local obsède Ellis, son amante devient insaisissable.
Ellis comprends que le passé le rattrape et que même son analyste n'y pourra rien et qu'il va devoir affronter les évènements seul.

Passé donc ces 80 premières pages Ellis nous entraîne dans un roman à la Stephen King tout en conservant la subtilité et l'humour qui font son talent. A ce stade on ne lâche plus le livre, on est Bret Easton Ellis et l'on sait qu'il va falloir aller au bout du livre pour se détacher de ses obsessions et de ses angoisses. On va rire parfois, avoir peur souvent et se dire que Bret Easton Ellis est décidément un immense écrivain.