Jan Karski a 25 ans en 1939 lorsqu'il travaille pour le ministère des affaires étrangères polonais et que l'Allemagne envahit le pays. Il est fait prisonnier par l'armée rouge qui le remet aux Allemands. Jan Karski s'évade et entre dans la résistance polonaise.
Jan Karski c'est aussi le titre d'un roman de Yannick Haenel (co-animateur avec François Meyronnis de la revue Ligne de risque), publié en cette rentrée.
Le livre de Yannick Haenel est construit en trois parties: un compte rendu précis du témoignage de Jan Karski dans Shoah de Claude Lanzmann, un résumé des activités de Jan Karski pendant la guerre, une partie romancée où l'auteur tente de retranscrire les pensées de Karski au fil des années qui ont suivi la guerre.
Jan Karski sera, de fin 1939 à fin 1942, essentiellement chargé de transmettre des informations entre la résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil en France. Mais ce qui va hanter Karski toute sa vie c'est le message qu'il devait transmettre sur l'existence de l'extermination des juifs. Ce message il le tient de deux religieux qui le chargent d'aller dire aux alliés la réalité de cette extermination et pour que le message soit fort ils convient Karski à "visiter" le ghetto de Varsovie et un camp d'extermination. Les deux visites qu'effectue Karski dans le ghetto, en passant par un passage secret, puis dans un camp où avec la complicité d'un ukrainien il entre comme gardien durant quelques heures, seront les moments les plus marquants de sa vie. Ces moments il les décrit comme un passage dans la mort, comme s'il était mort lui-même là-bas. Karski n'en revient pas de ce qu'il voit. Et c'est bien l'effet que cherchaient les deux religieux afin qu'il puisse dire "j'ai vu", qu'il puisse témoigner auprès des alliés et qu'il les convainquent d'agir plus seulement dans une stratégie militaire ou politique mais pour sauver le peuple juif de l'extermination totale.
Karski devient donc le témoin et le messager. Et de fin 1942 jusqu'au terme de la guerre il ne cessera de raconter ce qu'il a vu, auprès des autorités polonaises en exil, des autorités anglaises, puis au Etats-Unis à Roosevelt lui-même et à la presse. Jan Karski se heurte à l'incrédulité, à la surdité des alliés qui l'écoutent poliment mais ne semblent pas prendre toute la mesure de ce qu'il a vu, ni envisager l'urgence de la situation qui demande des interventions ciblées. Karski s'épuise à raconter ce qu'il a vu, à réciter son message sans être compris. A la fin de la guerre Jan Karski entre dans une longue période de mutisme, estimant qu'il a échoué dans sa mission.
Jan Karski est polonais, catholique, mais confessera être devenu un "catholique juif". Il reste aussi un polonais et défend sa terre dont il comprends vite qu'elle ne compte pas vraiment pour les alliés, qu'elle n'est qu'une part de négociation cédée aux russes. Une terre humiliée, souillée par les camps d'extermination construits par les allemands, un peuple accusé injustement d'antisémitisme, un pays abandonné aux mains du despotisme communisme.
La troisième partie du livre Yannick Haenel est la seule qui relève de la fiction, non pas dans les faits mais dans les pensées du personnage. Haenel fait dire à Karski son désespoir de ne pas avoir été entendu, son dégoût pour les alliés qu'il accuse d'être complice de l'extermination des juifs puisqu'ils savaient et qu'ils n'ont rien fait.
C'est bien cette partie, certes la plus travaillée dans le style, qui me pose problème. Haenel s'empare du corps de Karski pour lui faire développer cette théorie que l'homme avait défendu le restant de sa vie, mais il le fait avec les mots du romancier. S'il ne trahit sans doute pas tout à fait le fond de la pensée de Karski, la dureté de l'accusation et les mots employés ne sont pas forcément les termes ni les procédés qu'auraient employé Karski. Et cela on ne peut s'empêcher de le penser, et d'en être gêné. D'autant que Yannick Haenel nous a conditionné à un récit presque documentaire dans les deux premières parties, en se bornant à livrer scrupuleusement les faits et gestes de Karski entre 1939 et 1943. Et lorsque commence cette partie, ce soliloque de Karski, cette fiction d'une pensée reconstruite mot à mot (et pas forcément mot pour mot) on ne peut s'empêcher de penser que Karski aurait peut être choisit de le dire différemment, qu'il aurait été ici moins péremptoire, là plus précis.
Bien sûr Yannick Haenel rend hommage par ce livre au destin courageux de Karski, à sa détermination dans la transmission de la vérité. Et il ouvre son récit avec une citation de Paul Celan très maline qui le protège en quelque sorte: "Qui témoigne pour le témoin?".
Si l'on connaît le témoignage de Jan Karski dans Shoah de Lanzmann, le livre de Yannick Haenel à le mérite documentaire de nous transmettre à son tour ce qu'à été la mission de la vie entière de Karski.
Une interview de Jan Karski, ici.
1 commentaire:
Merci pour cet accueil!!
Suis novice et je suis pas encore très au point sur les liens et tout ça...
Grace à toi j'ai perdu plus de 1/2 h à lire pleins de trucs sur Karski. (curieux personnage)
C'est une bonne manière d'attaquer la semaine!
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