mardi 29 septembre 2009

Darrieussecq 1 / Polanski 0

Quelques jours avant l'arrestation de Roman Polanski, une déclaration de Marie Darrieussecq est passée (à ma connaissance) innaperçue.
Marie Darrieussecq, écrivain français, parmi les plus intérressants, plébiscité par le public et la critique déclare dans les Inrockuptibles la semaine dernière.

A la question : "Vous avez la sensation qu'il y a un désir de réprimer l'imaginaire?", Darrieussecq réponds ceci:

"Il suffit de penser à l'affaire de l'expo attaquée en justice, Présumés innocents. Les juges et une partie du public confondent imaginaire, fantasme, passage à l'acte. ça c'est vraiment contemporain. on n'a plus le droit d'avoir des colères, des imaginaires. L'artiste Bill Henson a vu son exposition envahie par la police à cause de photos de pré-adolescentes nues, c'est hallucinant. La galerie a été fermée. Je pense qu'on a le droit de regarder des photos d'enfants nus et y compris de se branler devant. Cela ne regarde que l'imaginaire privé des gens. je ne fais pas l'apologie du viol des enfants. Mais je pose la question: peut-on encore écrire des romans où il se passe des choses illégales? je crois que la peur de ses fantasmes, pulsions est de plus en plus répandue. alors qu'on sait très bien les contrôler. on essaie de faire croire aux gens qu'il faut avoir peur des autres, et aussi de soi-même: "Restez à la maison, dehors c'est dangereux...".

Marie Darrieussecq n'est pas vraiment connue pour être une provocatrice. Darrieussecq a raison de défendre l'exposition Présumés innocents et le travail de Bill Henson. Elle a raison de dire que l'on doit avoir le droit d'écrire des actes illégaux dans une oeuvre de fiction, dans un travail artistique (rappelons tout de même le tollé provoqué il y a quelques années par les romans Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki et Rose bonbon de Nicolas Jones Gorlin). Lorsqu'elle dit que la société est anxiogène et qu'elle pousse les individus à se refermer sur eux-même, elle a totalement raison.
Ce qui aurait pu provoquer la polémique, c'est vous l'aurez remarqué vous-même, cette phrase: "Je pense qu'on a le droit de regarder des photos d'enfants nus et y compris de se branler devant". Dans l'absolu elle a totalement raison: cela fait partie de l'imaginaire de chacun, de la vie privée de chacun. Marie Darrieussecq oublie simplement de préciser que dans ce cas là, le support est rarement une oeuvre d'art mais bien souvent, voire toujours des photos, en provenance de réseaux qui exploitent des mineurs pour générer aussi un revenu économique.
Mais Marie Darrieussecq reste dans l'absolu, dans le domaine des idées et sa déclaration n'est pas idiote. elle a le mérite d'être étonnante dans notre époque.
Cela dit, j'attendais (disons je craignais), une levée de bouclier des associations familialles (souvent catholiques) ou de certains éditorialistes. Surtout dans notre époque. Et, rien...
Cela m'étonne, et je me dis que peut-être tout simplement cette interview n'a pas été lue. Mais je me trompe peut-être. Ou alors si cela avait été une déclaration de Michel Houellebecq aurait-on assisté à un scandale? Houellebecq est un homme, il a la gueule de l'emploi, il est habitué aux déclarations franches qui créent la polémique.

Quelques jours plus tard c'est l'affaire Polanski qui ressurgit trente ans après. Même si on la connaissait, même si on savait que le classement de l'affaire avait été refusé au printemps, cette fois-ci l'affaire revient sur le devant de la scène.
Et avec des réactions très étonnantes. Très étonnantes, encore, pour l'époque.

Je ne vais pas revenir sur les fait qui sont très bien relatés dans tous les journaux ces jours-ci...
Ce que je retient: Polanski a plaidé coupable (aux USA il vaut mieux plaider coupable pour obtenir une peine plus clémente) en ce qui concerne le rapport avec la jeune fille, il a nié le viol. Polanski a quitté les USA pour échapper à la prison parce que le juge en charge de l'enquête avait manifestement décidé de s'acharner sur lui, prenant à partie la presse, provoquant des vices de formes dans la procédure qui étaient défavorable à Polanski. En outre Polanski a dédommagé la victime. La victime demande depuis plusieurs années le classement du dossier.

Dans l'instant où j'entend à la radio la nouvelle de l'arrestation de Polanski je me dis qu'il n'y aura sans doute pas grand monde pour le défendre: le sujet est sensible. Quelques heures plus tard c'est rien de moins que le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, qui s'insurge en ajoutant que le Président de la république est lui aussi choqué et suit le dossier de près.

Défendre Polanski me semble très osé vu les faits qui lui sont reprochés.
Même si je suis de ceux qui pensent que Polanski a payé déjà très cher, par une sorte de justice immanente, en ne pouvant plus revenir aux Etats-Unis et ainsi voir sa carrière et presque toute sa vie empêchée par cette affaire. seulement il y a la justice dite des hommes. Et à la lecture des commentaires des lecteurs des journaux en ligne (Le Monde, Libération, Le Figaro et autres...) force est de constater qu'une écrasante majorité demande que Polanski soit considéré comme un justiciable comme les autres. Le peuple veut du sang, le peuple veut qu'il paye.

Ce qui est frappant c'est cet emballement au plus haut sommet de l'état pour défendre celui qui au yeux du peuple est finalement un vulgaire fugitif, violeur.
L'époque est décidément très étonnante. Tout se brouille, tout se mélange.

A part ça, dans les heures qui viennent, un autre réalisateur, Jean-Claude Brisseau va être à nouveau entendu par un procureur pour une affaire qui implique une femme majeure, qui ne se plaint pas de viol, qui était consentante... Là personne, ou presque, pour le défendre. Brisseau à la gueule de l'emploi... et sans doute beaucoup moins de relations ou tout simplement de moyens financiers... Mais bien sûr cela n'a sans doute rien à voir.


4 commentaires:

MitlaMit a dit…

Cette affaire Polanski bis, limite ter, va me taper sur le système beaucoup trop longtemps.

Sinon, je trouve très dangereuse cette justice que tu appelles "des hommes." La justice est concçue pour être au-dessus des hommes. Enfin, c'est comme ça que je le vois, maintenant je ne suis pas spécialiste du droit.

Robert a dit…

"Polanski a payé déjà très cher, par une sorte de justice immanente, en ne pouvant plus revenir aux Etats-Unis et ainsi voir sa carrière et presque toute sa vie empêchée par cette affaire."

Il a quand même fait à peu près ce qu'il voulait en Europe...

Seb B. a dit…

@ mitlamit

la justice est tout de même pensée et faite par des Hommes, pour les Hommes.

@Robert

c'est vrai qu'il a eu les moyens de ses ambitions ici, avec l'argent américain bien souvent.
mais je pense que c'est tout de même une souffrance de n'avoir pu aller à Hollywood depuis 30 ans parce qu'il aurait sans doute aimé y faire d'autres films. peut-être que sa carrière aurais d'ailleurs été moins intéressante (même si tout ce qu'il a fait n'est pas indiscutable, certains films toutefois sont de grandes réussites).

Perdita a dit…

Au-delà du débat (tout est discutable à l'infini) ce qui me dérange, c'est cette "Immunité cinématographique" qui a été initié par la profession... A méditer