jeudi 30 octobre 2008

La Vie moderne

La Vie moderne de Raymond Depardon est le dernier volet de Profils paysans. Ce dernier volet, au titre ironique, un peu mordant, est extrèmement émouvant et parfois aussi très drôle.
C'est un film étonnant, surprenant pour le spectateur tant il rare de voir les paysans filmés de cette façon. Depardon, parce qu'il connaît ceux qu'il filme, nous montre ses paysans comme rarement au cinéma ou à la télévision.
Ici pas de clichés rassurant sur nos belles campagnes campagnes française comme les affectionnent à la fois les téléspectateurs du journal de Pernaut ou les bobos parisiens. Depardon visite un territoire abandonné en ayant l'humilité de ne pas jouer le spécialiste. Depardon sait qu'il faut filmer avec délicatesse, prendre son temps. Ou plutôt accepter le temps, la durée, le rythme de ceux qu'il filme.
Depardon les filme tels qu'ils se présentent: bavards, silencieux, coopératifs ou en retrait. S'il insiste parfois sur certaines questions on ne sent pas le malaise habituel que peut provoquer un journaliste. Depardon est comme eux, il laboure son sujet avec amour et confiance, en sachant que le temps joue en sa faveur. Et c'est de cette façon qu'il permet à ces paysans de rester eux-mêmes sans jamais donner le sentiment que l'image leur à été volé. Ils restent maîtres en leur terre. Ainsi même lorsque Depardon étire ce gros plan sur Marcel Privat dans ses derniers jours de vie, le paysan fait face à la caméra comme il fait face à la mort: avec tranquilité et force.
Depardon filme aussi les jeunes qui ont choisis de reprendre une exploitation. Là le langage est différent, ces agriculteurs (oui, il semble difficile d'appliquer le terme "paysan", quelque chose à changé) sont dans la conscience de l'image qu'ils renvoient et deviennent pour le coup moins intéressants, plus méfiants. Mais cet écart en dit beaucoup justement sur ce qui sépare les paysans et les agriculteurs.
Plus qu'un écart générationnel, on ressent qu'un lien s'est perdu entre ces agriculteurs et le paysage, la terre. Mais Depardon ne s'attarde pas sur ce constat, il ne juge pas, n'en tire pas de conclusion. La nostalgie n'est pas son affaire.
Pourtant on sent dans ce film la fin d'un monde, la fin d'une vision de ce même monde.
C'est en creux que ce sentiment travaille le film: dans ces longs travellings dans la campagne accompagnés par la musique de Gabriel Fauré.

La Vie moderne est un film important ne serait-ce que parce qu'il pose un regard juste sur ces hommes et femmes qui vivent encore en ce moment en France et qui sont totalement absents (en tous cas avec cette justesse) de notre époque. Parce qu'ils sont d'une autre époque? Non je ne crois pas. Car ils ne se sont pas mis à l'écart, ils suivent l'actualité, ils ont une connaissance du monde contemporain même s'ils l'observent de plus loin que nous.
Mais je crois que le paysan est tout simplement devenu un indésirable. Comme s'il était devenu une figure de l'ancien monde. ce monde que nous avons quitté avec l'entrée dans la mondialisation. Le paysan a été figé dans un personnage réactionnaire par la télévision notamment.  Le paysan est aujourd'hui jugé inculte, rétif au progrès, conservateur.
Dans le même temps s'est construit une image plus flatteuse de l'ouvrier. Et ces deux figures onté étées opposées par les médias. Le paysan réactionnaire et obligatoirement de droite contre l'ouvrier ayant une conscience politique, de gauche.
Aujourd'hui on se dit plus aisément fils ou petit-fils d'ouvriers, comme étant issus des luttes sociales, plutôt que comme fils ou petit-fils de paysans. Sans doute parce que l'on a idéalisé le rôle de la classe ouvrière en mai 68. Alors que si l'on se penche sur les faits la classe ouvrière n'était pas exactement porteuse des mêmes idées que les fils bourgeois qui bloquaient la Sorbonne. En 68 les paysans ont sans doute un peu regardé passer la "révolution". Et le mouvement du Larzac dans les années 70 a été bien vite rangé dans la mouvance hippie-écolo. Alors qu'il portait, avec ses excès, un certains nombres d'idées qui aujourd'hui sont devenues des outils de la prise de conscience écologiste.

Ces paysans s'effacent, meurent aujourd'hui dans l'indifférence générale. Aussi parce qu'ils ont la pudeur de ne pas élever la voix, conscient que le monde est déjà passé à autre chose.
Pourtant ce sont eux qui ont nourris la France pendant des décennies, faisant du blé, du tabac, du maïs, de la vache à viande selon les prérogatives du ministère de l'agriculture afin de remplir les estomacs bourgeois. Ils ont obéit, docilement, faisant leur métier sans connaître le goût des vacances (tandis que les ouvriers connaissaient les congés payés), sans le repos du dimanche, sans avoir jamais quitté leur canton. Et tout ceci pour des salaires misérables et une retraite qui aujourd'hui ne dépasse pas les 400 € par mois.
Dans le même temps les médias sont aller visiter les ouvriers en retraite, les immigrés des années 60, les jeunes de banlieue. Ceux-ci sont certainement plus télégéniques.
Le silence de Marcel Privat n'intéresse pas la télévision. Et Marcel Privat le sait mais il reste digne et s'éteint sans plainte.

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