dimanche 28 septembre 2008

Selon Matthieu

Revu Selon Matthieu de Xavier Beauvois.
Je n'avais vu le film qu'une fois à sa sortie en 2000.
C'est peut-être le film de Xavier Beauvois dont la mise en scène est la plus fluide, la plus apaisée voire la plus maîtrisée.
Ca commence par des vues aériennes de la Normandie: les falaises, les maisons bourgeoises, la mer, puis des usines, puis la forêt. On plonge dans cette forêt pour une chasse organisée par le patron de l'usine où travaille Matthieu (Benoît Magimel), son frère, son père. Beauvois filme la battue puis l'attente avec une tension calme qui va parcourir tout le film. A l'issue de la chasse apparaît, de loin, la femme du patron (incarnée par Nathalie Baye), celle qui sera plus tard l'objet de la "chasse" de Matthieu.
Puis c'est l'usine. Une usine impeccable, propre, presque silencieuse. On y travaille avec des tee-shirts siglés au nom de l'entreprise, on pilote des machines outils avec des ordinateurs, on contrôle une pièce avec minutie. Une usine comme on en voit peu dans le cinéma français, loin de l'usine de cinéma, une usine d'aujourd'hui: chirurgicale, luisante, affûtée, tranchante... comme le sera d'ailleurs le licenciement du père.
La faute du père. Elle est montrée par Beauvois en un plan: un travelling léger, lent où le père allume une cigarette tranquillement. Dans ce plan on distingue un panneau d'interdiction de fumer, puis le patron de l'usine qui fait fait visiter les lieux. Dans ce seul plan, simple, mais tendu, précis, affûté le drame se noue. La faute est commise.

On sait à partir de là que nous sommes dans une tragédie, comme toujours chez Beauvois d'ailleurs, où chaque plan porte en lui tout la trame du drame. La mort, le gâchis sont à l'oeuvre.

Puis c'est le mariage d'Eric, le frère de Matthieu. Une longue et belle séquence où Beauvois saisit ici et là les temps forts d'un mariage de province comme si nous étions des lointains cousins conviés à la fête: la sortie de l'église, l'apéritif, le discours de la mariée, la jarretière, le bal.
Ici on prends son temps, comme on s'ennuie dans un mariage, comme on observe lorsqu'on s'ennuie. Même si Beauvois ne cache pas son plaisir de filmer ces moments si convenus d'un rite qui disent tant de la France, de ses traditions.
Seul Matthieu se rend compte que le père, le patriarche, le chêne se meurt au fond de la salle des fêtes. Et ce superbe plan où le père est à table, le regard dans le vague et ne voit pas ceux qui à quelques mètres lui proposent de trinquer. Le père, prostré, blessé, ruminant l'humiliation du licenciement. Et puis cette scène entre la père et Matthieu sur le parking de la salle des fêtes, où le père lui donne la lettre de licenciement et verbalise, constate la fin d'un monde pendant que derrière on chante, on danse, on boit, on oublie.

Beauvois prends acte de la défaite des syndicalistes, de la bêtise du directeur des ressources humaines, de la fin des relations sociales dans l'entreprises en quelques scènes. Il n'y a plus de collectif, il ne reste que des individus, il ne reste plus que la vengeance. La vengeance comme toute tragédie.

Matthieu va se venger en séduisant la femme du patron, en allant embrasser la bourgeoisie au plus près, en allant au plus près des bourreaux et en se laissant lui aussi séduire.
Et c'est même la femme du patron qui fait la leçon tranquillement à Matthieu en lui expliquant ce qu'est la mondialisation. Le ton est celui de la conversation à l'heure du thé, au moment où la brume s'abat sur la Normandie. Elle explique qu'il faut délocaliser en Corée pour rester concurrentiel, et Matthieu d'essayer de protester. Et elle de le calmer de son sourire, lui faisant presque croire qu'elle aussi (et sa classe sociale) est la victime de la mondialisation, de sorte que les deux amants sont à égalité, là, au milieu du salon feutré de la maison bourgeoise. Ils boivent le champagne, le dernier verre du condamné.
Cette scène est aujourd'hui un tantinet daté puisqu'on ne parle déjà plus (huit ans après) de la Corée mais de la Chine et bientôt qui sait de quel pays? Ce qui était encore en 2000 une démonstration est aujourd'hui une évidence tant le processus de la mondialisation est connu de tous. Cela rend aujourd'hui cette scène désuète, mais elle reprendra de la force dans quelques décennies, revenant sur les prémices de la mondialisation, elle fera de Selon Matthieu un témoignage de ce moment où ouvriers et patrons occidentaux prennent conscience du début du naufrage. Cette scène fera, avec le temps, de Selon Matthieu un classique.

Aucun commentaire: